Qui pourrait critiquer la décision de lire à tous les lycéens de France la lettre d’adieu de Guy Môquet
(voir Le Monde du 18 mai) ? Les premières réactions vont d’ailleurs dans le sens du consensus. Un
enfant de 17 ans s’apprête à mourir pour la bonne cause, fusillé par les nazis. Il donne à sa famille le
courage qui ne lui manque. Tout est là en quelques lignes déchirantes : l’amour, l’amitié,
l’affirmation de la vie, le sacrifice consenti pour un but transcendant (« ce que je souhaite de tout
mon cœur, c’est que ma mort serve à quelque chose »).
D’où vient alors le léger malaise, à la lecture de cette recommandation présidentielle ? De
l’utilisation du pathos à des fins éducatives, au sortir d’une campagne qui a beaucoup fait vibrer la
corde du pathétique. On peut certes faire confiance aux enseignants pour « contextualiser » la lettre
qu’ils liront devant leurs élèves, mais le risque est grand que ceux-ci n’en retiennent que la vibration,
en dehors des circonstances. Or, le pathétique n’est pas en soi une vertu démocratique : il peut servir
tous les régimes, même les pires, et justifier les mauvaises causes. La future génération a sans doute
moins besoin de raisons passionnelles de mourir que de raisons rationnelles de vivre.