Dans les nécros très académiques du Monde, parfois de l’humour, dont on se demande s’il reflète la personnalité du défunt, s’il tient compte des dernières volontés du mort dans la rédaction du portrait posthume en quelques lignes, ou si les survivants ont voulu compenser la dureté de la vie par un peu de légèreté :

Le Monde, 31 mai 2025

Le Monde, 26 juillet 2025
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Comme j’ai une crise d’arthrose, que je donne un double de clés à N. au cas où elle aurait besoin d’entrer en mon absence, que je lui montre où sont les papiers importants, qu’elle est ma personne de confiance et que son nom figure dans la case personne à prévenir des « directives anticipées », elle me demande, pendant qu’on y est et puisqu’elle a posé la même question à sa mère, c’est-à-dire mon ex-épouse, ce que je souhaite pour ma mort : être brûlé ou enterré ? Elle n’a pas dit incinéré. Non : pas réduit en cendres. J’ai mal vécu les « cérémonies » au funérarium pour ma mère, Pierre mon beau-frère, l’ami D. P., une mise en scène froide avec escamotage final. Je veux qu’il reste quelque chose de moi, quelque chose de dur, qu’on retrouvera dans plusieurs siècles, comme le Poor Yorik d’Hamlet dont les fossoyeurs déterrent le crâne. Mais qu’on s’assure que je sois bien mort avant de m’enfermer. N. prend des notes sur son portable, pour les partager avec sa sœur. L’ex veut être incinérée parce qu’elle est sûre que personne ne viendra sur sa tombe. D’ailleurs elle-même laisse à l’abandon les tombes de sa mère, de son frère, etc. Et où je veux ? Le cimetière monumental, s’il y a de la place, comme ça j’aurai la visite, en prime, des touristes qui viendront sur le caveau de la famille Flaubert. C’est vrai, dit-elle, tu as passé plus de temps avec lui qu’avec nous. Je ne peux pas lui donner tort. Voilà, ça, c’est fait. (Juin 2025)
La première page que je regarde dans Le Monde, la page des nécros. Peut-être quelqu’un de connu, que je connais. Je regarde les âges. (août 2024)
Léon Blum, en mourant dans les bras de la femme aimée : « Ce n’est rien. N’ayez pas peur pour moi. »
La 4e république est morte d’avoir été mourante (France-Culture, 9 décembre 2024)
Elle est morte d’avoir été mortelle.
Statistiquement, il y a un risque élevé de mourir le jour de son anniversaire.
Je me souviens qu’à l’école on disait : mourir ne prend qu’un « r » parce qu’on ne meurt qu’une fois. Mais au futur, on peut mourir au moins deux fois : « je mourrai ».
La liste de diffusion du Bulletin Flaubert électronique compte 750 abonnés. Ceux qui se lassent peuvent se désinscrire automatiquement. Pour les morts, c’est plus compliqué. Ce jour, je reçois un message quasiment d’outre-tombe : « Ma femme est morte le 24 mai. malheureusement, Jje ne parle pas francais. » Elle s’appelle, elle s’appelait I. G., et son adresse mail se termine par « .de ». Je réponds : « Cher Monsieur. Merci de votre message. Toutes mes condoléances. Je désabonne cette adresse. Avec tristesse. » En réponse, le mari m’envoie une photo de son épouse, avec cette légende : « Au revoir ! ». Alors, moi : « Merci pour cette photo d’une femme radieuse, partie dans un fond d’herbe et de fleurs. » Elle est belle, en effet, cette vieille dame ridée, au large sourire, avec un sweat violet qui se détache sur un décor d’herbes folles et de fleurs de même couleur. (20 juin 2024)
Suicide du père de G. Homme d’ordre, il a laissé sur un secrétaire des dossiers « Notaire », « Obsèques », une enveloppe avec la somme nécessaire à son enterrement et aux repas de ses enfants et petits-enfants ; il a noté dans un carnet les visites, les menus événements, jusqu’à l’avant-dernier jour. Ordre mortifère. (24 février 2018)
À ce point un homme d’ordre que même pour la mort, il a ouvert un fichier dans son dossier « perso ». Et c’est rassurant de se dire que les réflexions sur la mort ont une place réservée dans une case prévue. (13 janvier 2018)
Réveillé ce matin en me disant qu’il n’y a pas de bonne saison pour mourir : au printemps, c’est contradictoire ; pendant l’été, on oblige les amis à revenir de vacances ; à l’automne, les feuilles mortes créent un pléonasme ; l’hiver, impossible de creuser un trou dans la terre gelée. Alors, quand ? Ultima quando, comme gravaient les Anciens sur les cadrans solaires. (1er janvier 2018)
M. écrit : « Et je vais rendre visite à mes défunts qui eux ne se sont toujours pas réveillés, les paresseux. »
Réponse : « En ressentant de plus en plus la fatigue de l’âge, j’approuve les défunts qui n’ont plus la force de se lever. Quand on est mort, c’est pour longtemps, et on a bien mérité de se reposer pour l’éternité. »
Et je pense à ces tribus (?) qui enterrent leurs morts debout. Chercher pourquoi : héroïsme ? affirmation d’une victoire sur la mort ? attente d’une résurrection ?
Les Occidentaux (?) représentent les morts couchés, des gisants, à l’horizontale, dans la position du sommeil, du guerrier terrassé. (26 décembre 2017)
François Lapèlerie, soigne son cancer de la lymphe.
À propos de Lawrence : « Dans aucune BU française il n’y a le moindre volume de la correspondance de TEL dans l’édition de Jeremy Wilson (Castel Hill Press). Il n’y a par ailleurs que des éditions incomplètes (j’en ai quelques-unes)
Et à part Stephen Tabachnik, toutes les personnes que connaissait et que j’aurais pu contacter sont mortes !
Harold Orlans, qui a fait une biographie de TEL : mort ;
John E. Mack, psychiatre et auteur de livres sur TEL : mort (écrasé par une voiture à Londres !) ;
Jeremy Wilson, biographe et éditeur de TEL : mort en mars de cette année (d’un cancer qui l’a fait agoniser à tout petit feu pendant 5 ou 6 ans).
C’est très réjouissant tout ça !
Donc je vais attendre la réponse de S. Tabachnik. Mais ce ne serait pas si grave que ça de ne pas consulter 2 ou 3 lettres inédites: TEL y fait part de son admiration pour Flaubert ! »(17 décembre 2017)
Dernier passage au secrétariat. Gisèle Delaunay me trouve moins bonne mine que la fois dernière. Me conseille de me ménager. Pour voir grandir les enfants, encore petits. Elle a connu quelqu’un comme moi qui, après rechute, s’est retrouvé dans un fauteuil. Pour les enfants et pour Peggy, dit-elle. Sa rusticité brutale, ses mots bruts me touchent. (15 juillet 2014)
La mort rôde, l’ironie aussi :
Ce matin au rayon boucherie :
M. : Bonjour Mu., ça n’a pas l’air d’aller.
Mu. : Wouh wouh wouh… Mon père vient de mourir, ce matin.
M. : Oh la la ! Votre frère il y a deux mois et maintenant votre père ! Je suis désolée.
Mu. : Mais vous n’y êtes pour rien.
Ce midi, à la télévision :
La présentatrice : « DB est mort des suites d’un cancer généralisé. »
Euh, c’est quoi les suites d’un cancer généralisé : c’est la mort, non ? Donc il est mort de la mort… ou quelque chose comme ça. (10 avril 2014)
En redescendant de MSA par le bus, rencontré une collègue. Avons parlé de notre ancien collègue incinéré aujourd’hui. Elle me faisait remarquer que, comme dans Les dix petits nègres, il était le premier de notre département à « partir ». Elle s’interrogeait sur les suivants. M., il est temps que je rédige mon testament. Après, nous avons tenu ce que son père, m’a-t-elle dit, appelle des « propos de corbillard ». Je ne connaissais pas l’expression. La question était de savoir s’il serait souhaitable de connaître la date de sa mort, pour s’organiser en conséquence. Je lui ai fait remarquer que nous passions tous les ans devant la date de notre mort, sans le savoir. Elle ne s’était jamais dit cela. C’est une collègue spécialiste du Moyen Âge: le bruit a couru, il y a quelques années, qu’elle avait perdu son compagnon, un Italien.
Nous sommes joyeux, en ce moment. (9 avril 2014)
Superstition 1. Comme enfant, quand on marchait sur les raies qui délimitaient les carrés dessinés sur les trottoirs.
Là, c’est quand j’aurai épuisé la masse des papiers brouillon que j’entasse pour ne pas jeter les feuilles blanches au verso. Mais je triche : j’en rajoute toujours.
Superstition 2. Je me dis que, comme Proust, je ne pourrai mourir avant d’achever un chantier. Homme d’ordre comme je me connais, je ne laisserai pas de travail en plan. Là aussi, je triche, je m’arrange pour avoir toujours un fer au feu, et même deux, l’un prenant le relai de l’autre pour éviter les temps morts.
Je m’autoriserai à mourir quand j’aurais revu un vieux film dans laquelle se trouve une scène qui me hante : un homme qui monte dans sa couchette et tourne le dos sous la couverture en demandant aux autres de se taire. Ça doit se passer dans une prison ou dans une chambrée, pendant la guerre. C’est un film en noir et blanc, probablement vu chez les Babin, à Saint-Benoît, vers 1965. Récemment, voyant ou revoyant Le Trou de Jacques Becker, j’ai peur que ce tableau me saute à la gorge. Mais non, ce n’est pas là.
Si on savait combien de jours il reste, on s’organiserait autrement.
Flaubert : envie de lui dire de se dépêcher, à la fin de sa vie.
JCA : le type sur Facebook qui remercie ses amis d’être venus à son enterrement. Sa fille a utilisé le compte de son père pour envoyer le message.
Apprendre qu’on est mort, par homonymie.
Les enregistrements à diffuser post-mortem. Les tombes virtuelles à fleurir.
FN : Anne Ubersfeld avait une belle-sœur homonyme. Elle meurt. Tout le monde appelle chez elle pour consoler son mari : c’est elle qui répond : je suis bien vivante, mais très chagrinée par la mort de ma belle-sœur. Etc. Et un ami l’appelle, après avoir lu qu’elle était morte, mais sûr de tomber sur elle : il avait rêvé la nuit précédente qu’il la rencontrait dans un cimetière et qu’elle lui disait qu’elle n’était pas morte.