Monde (galop d’essai, 2012)

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C’est maintenant, aujourd’hui, tout de suite, qu’il faut oser. Avant aujourd’hui, hier, avant-hier, non, trop jeune, pas assez vécu, pas d’expérience, trop épris de lui, de son petit monde. Et demain, l’âge arrive, le temps en accéléré, plus tu avances et plus ça va vite, on ne sait pas bien expliquer pourquoi, enfant les jours ne passaient pas, les vacances duraient, duraient, tant qu’à la fin on s’ennuyait presque, on attendait que ça finisse avec la rentrée, et en avançant, le mouvement s’accélère sur la vie en pente de plus en plus, entre les deux temps c’est le moment d’oser mettre le monde debout et de se mettre soi debout au milieu du monde, et le monde bien carré dans la tête.

Quand ils passaient sur le pont, le petit à l’arrière, le vieux d’un geste lui montrait immanquablement la pointe de la cathédrale éclairée sur fond de nuit, et le petit disait immanquablement c’est le monde entier. Et le vieux lui répondait le monde c’est bien plus grand. Là, tu vois un petit bout de monde. Une fois, deux fois, le petit n’avait rien répondu, mais il avait dû réfléchir dans sa tête qui portait le monde entier, puisqu’un jour il avait sorti une phrase toute faite, bien pensée, bien articulée, bien construite, bien acérée comme la pointe de la cathédrale si c’est pas le monde entier, c’est quand même une grande partie. Et à ça, qui était une évidence, le vieux n’avait pas su quoi répondre. Après, le petit avait grandi, et quand ils passaient tous les deux sur le pont, il ne disait plus rien, ou seulement parfois avec un accent puéril qui réveillait les jours, le vieux racontait ce qu’il disait au petit et ce que le petit lui répondait, et le petit devenu grand ne disait rien.