Petits poèmes en vers

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En lisant Belle du Seigneur, été 2025, chaud

La fenêtre est ouverte.  
On entend les bruits de la rue.
Elle dit qu’elle aime.
 
Le petit M. lui a demandé pourquoi elle n’a pas de mari.
Est-ce qu’elle est fatiguée de faire des bisous ?  
Elle invente le mot bisouseuse.
 
Elle veut savoir comment s’appelaient celles d’avant.
Elles avaient des noms d’une autre époque et d’ailleurs.
Elle trouve qu’elles ont eu de la chance.

*

Effacer les traces
Puis effacer l’effacement.
Il reste quelque chose

Sur le camion, un dessin
Avec les angles morts.
Combien de morts dans les angles ?

Trouver sa place.
Qui doit-on chasser ?
Après, à qui la céder ?

Grignan, juillet 2025

*

Un train lancé
Dans le haut des arbres
C’est le vent dans les pins.

Cheveux blonds
Des herbes.

Qui le premier a levé le pouce ?
Qui le premier s’est arrêté ?
Et qui un doigt d’honneur ?

Le jour se lève
Le soleil se couche
Pourquoi les imiter ?

Les jeunes valides
Regardent en contrebas
Le vieil homme. Un jour, eux aussi, le plus tard possible.


*

Nul
n’est tenu

*

Série

Ici ? – Plutôt ailleurs.
Toi ? – De préférence une autre.
Maintenant ? – Plus tard, bien plus tard.
Comment ? – No.
Moi ? Demandez l’autre.

Ombre

Ombre que je deviens
Corps encore en trop
Obstacle au soleil

Effacer
Une vie crayonnée
Où est la gomme ?

Même en cendres
Il reste un peu de matière.
Être la flamme.

Rouen, 27 mai 2018.

A M. G.

grise la mer et sans reflet
mais quand même la mer
toute de blanc au bord ?
une touche d’écume
le coup d’aile d’une mouette

Le Havre, 24 mars 2013.

L’arbre sur le ciel bleu

Est-ce l’arbre qui se découpe
sur le ciel bleu
ou le bleu du ciel qui
s’ajuste entre les branches

Deuil de la parole*

Du tout venant du quotidien, rien à dire.
De l’intime, du pour soi, à qui s’en ouvrir ?
Du passé, personne pour recueillir un souvenir.
Du futur, le prophète reste sans voix.
Des proches, trop proches pour creuser la distance.
De ceux au loin, pas à portée de voix.
De l’enfant, il n’a pas la parole.
Du vieux, il est sourd et parle seul.

* voir si ce titre n’est pas chez Éluard
23 décembre 1999

Feu

Mort aux autres vies qui nous semblaient dues
Deuil de toi où et quand tu vécus
Disparition de moi, du frisson le long de la colonne aux vertèbres, des phosphènes qui tombent derrière les paupières, de la boule hystérique qui strangule d’angoisse quand c’est ton tour
Fuck des femmes qu’on n’a pas eues
Merde à la mer, à l’infini qui lave
Pioche dans les maisons bâties
Bris des huis, des briques et des pierres
À la corbeille les vieux papiers
Iconorgasme des images en circulation
Sus à la viande qui se vend pour chair
Au trou ce qui dépasse, s’enfle
À bas le haut, le loin, le vite
Feu les revenants, les morts-vivants, les prêcheuses d’origine
Rompez les rangs
Dépression de bourse et de météo — moral en hausse
À bas.

Novembre 1997

Derrière moi

Derrière moi les putes, les massages spéciaux, les salons, la tentation de la négresse, le tourisme sexuel, les conversations poussées ;
derrière moi le père au cimetière et la mère folle, le vieux n’a plus que les os, la mère que la peau sur les os, ils sont là où ils sont, laisse-les, lâche-moi ;
derrière moi l’obéissance et ce qui lui ressemble ;
derrière moi le malheur et ses illusions ;
derrière moi les objets, les choses

5 juillet 1997

*

RIEN — NIER

Retourner le rien
C’est (presque) nier
L’envers de la destruction
— encore la destruction —
Quand vient le quelque chose ?

Poème hôpital, 12 février 1989

*

La gêne du visible
Soudain
Être ça.
Sous des yeux
On se retourne
Mais c’est soi qu’on regarde
Corps opaque.
Les os sous la peau.

10 janvier 1989

*

Le chat dort
oreilles droites
Il poursuit un
rêve de souris.

*

Sa cigarette
la mâche autant qu’il la fume
Ils ont été mariés.
Elle garde un fort accent
De son enfance anglaise

*

Les mouches écrasées au vol,
en silence,
on peut lire.
Elle écrit
des cartes postales,
des nouvelles de mort
qui la font pleurer.