Flaubert, lectures

[Index : En marge du site universitaire Flaubert, qui se veut objectif, le site personnel d’un
flaubertien assume ses opinions partielles et partiales, entre Exercices d’admiration, Mes
haines et Mauvaises pensées (Sainte-Beuve).


Bêtises sur Flaubert


Lecture de Flaubert, empire de la bêtise, textes réunis et présentés par Anne Herschberg
Pierrot, Nantes, Éditions nouvelles Cécile Defaut, 2012.


Voici un ensemble même pas bête (au sens où le physicien Wolfgang Pauli parlait de travaux
« même pas faux »), mais inutile, redondant, répétitif. On n’y apprend rien de nouveau ni sur
Flaubert ni sur son œuvre. Que du déjà dit avant et souvent mieux. L’entreprise est fondée sur
une immense amnésie de ce qui déjà été écrit sur le sujet. On tourne en rond, avec Pierre
Bergougnioux, qu’on apprécie par ailleurs mais ici totalement hors sujet ; Anne Herschberg
Pierrot, stylisticienne sans style ; Pierre-Marc de Biasi, vulgaire de pensée et d’expression,
étalant sa personne, apostrophant son lecteur, ne daignant citer d’autres critiques que lui-
même, ignorant jusqu’au nom de Jean Bruneau ; Jacques Neefs, dans l’embrouillamini
conceptuel poético-philosophique, se gargarisant du vague « cela », de « mimétique » à tout
propos ; Claude Mouchard, tirant à la ligne dans un interminable essai de près de 100 pages
qui convoque toute sa bibliothèque personnelle à sauts et à gambades pour écarteler Bouvard
et Pécuchet entre une multitude de références décontextualisées, si bien que BP est dans tous
les livres, et réciproquement.
Même pas bête ? Au moins une phrase stupide, quand même : « Nathalie Sarraute va plus loin
que Flaubert » (p. 319). Qu’est-ce que ça veut dire ? Faut-il avoir l’esprit progressiste pour
penser la littérature comme une course olympique (plus haut, plus fort, plus vite), dans
laquelle un auteur pourrait aller « plus loin » qu’un autre.
Mais le comble de la bêtise se trouve dans le paratexte : l’article de Anne Herschberg Pierrot
et de Jacques Neefs est dédié « À Claude », et celui de Claude Mouchard, qui suit
immédiatement, « À Anne et à Jacques ». Le chiasme en renvoi d’ascenseur, casse et séné,
comme figure de la bêtise institutionnelle, symptomatique du fonctionnement de ce que l’ami
de Flaubert, Alfred Le Poittevin, appelle la « société mutuelle d’admiration réciproque »
(Bibliothèque municipale de Rouen, ms g 271, Notes diverses II, f° 3). Dispositif circulaire
qui se confirme dans les renvois internes : trois notes de l’article conclusif de Neefs renvoient
« plus haut », « ci-dessus », « ici même » (la diversité des formules censée compenser la
monotonie du procédé) à l’article précédent de Herschberg Pierrot et du même Neefs. On
n’est jamais si bien cité que par soi-même. Grotesque d’une pensée autosuffisante qui tourne
sur soi, comme Sganarelle avant la chute.
Le dernier tour est sur la page de titre : cet ouvrage a bénéficié d’une subvention du Centre
national du livre, dont la commission « Littérature classique et critique littéraire » est présidée
par Pierre-Marc de Biasi. La boucle est bouclée.

Pour se décrasser de cette poisse, on peut lire le chapitre que Jean-Louis Cabanès consacre au
même sujet : « L’ironie et le sublime chez Flaubert », dans son livre Le Négatif (Garnier,
2011). Il y a plus dans ces quelques pages montrant dans la bêtise un «  sublime à la
renverse » (p. 113) que dans le gros volume précédent.